Pratique théâtrale & coopération

Le propos n’est pas ici d’identifier ce qui, souvent, se trouve représentatif de la coopération dans des pratiques de classe, en particulier :

- La démarche de projet, qui certes est très développée dans ce type d’action (la place des enfants dans la conception, la conduite, et la finalisation)

- Le rôle joué hors des pratiques théâtrales à proprement parler (l’atelier de théâtre) par l’usage raisonné (institutionnalisé) d’instances de parole, de débat, de prise de décision –y compris le « conseil de coopérative, le recours au vote, etc.

Ne sont pas non plus ici développés « Ce qu’on apprend quand on fait du théâtre » (texte de Jean-Pierre Ryngaert), hors problématique de la coopération ; ni précisément les fondamentaux objectifs d’éducation artistique du théâtre (dont accès au symbolique, à la métaphore, à la langue littéraire, à la dialectique vrai/faux, à la pensée divergente, à l’exploration et la construction d’alternatives esthétiques …).

C’est plutôt une tentative de mettre à jour ce qui, dans la pratique théâtrale « fabrique de la coopération ».

En préambule : tout travail théâtral n’est pas de nature coopérative, quand sont favorisées la valorisation individualiste voire la mise en concurrence des « acteurs ».

Nous faisons le choix d’un théâtre qui s’appuie sur le collectif, la dimension chorale, le fait que tous s’essaient à tous les « rôles » ; en particulier « jouer » et « regarder » en alternance. Être regardé agissant au sein d’un groupe (s’exposer aux regards) est sous-tendu par le fait que celui/celle qui regarde apprend de moi en connexion avec les autres.

Est reprise l’affirmation, qui s’applique au métier de comédien (ce que ne sont pas ici les enfants !) « L’important n’est pas d’être un bon acteur, mais d’être un bon partenaire », partenaire étant entendu ici comme « partenaire de jeu théâtral, celui ou celle avec qui je joue ».

A. Une grande partie repose sur l’écoute et l’attention à l’autre, qui sont constitutifs du théâtre. La simple situation de départ de se déplacer dans l’espace ensemble en silence, sans autre connexion que le regard, les corps en mouvement et la perception sensible de l’espace suppose de coopérer (s’il n’y a pas consentement et prise en compte de l’autre comme mon égal, le jeu ne peut advenir). Même à ce stade, l’engagement de chacun, et la relation interpersonnelle (prendre appui sur les autres, être appui pour eux) sont décisives.

B. « Penser et agir collectivement sans recourir à une communication explicite. Interpréter et répondre de manière dynamique aux actions des autres, en ajustant ses propres actions. Agir en pensant à la compréhension qu’a l’autre, en développant l’empathie. Associer des actes en évaluant in situ l’importance de ce qui se passe, et sans que ce soit explicité ni démontré. »

C. La recherche en atelier de théâtre génère consubstantiellement l’imprévu, l’inouï (ce qui n’a jamais été entendu ni vu), l’imperfection, l’erreur, le tâtonnement. C’est vrai de toute pratique artistique. En théâtre, prendre des risques est rendu « supportable sans angoisse», et même complétement jubilatoire (abandonner la protection des certitudes), car la protection est le jeu avec et par l’autre et le groupe.

D. C’est par l’attention conjointe, la confiance et les interactions sensibles et non explicitées au sein du jeu et de la recherche que se bâtit la création collective dans une perspective esthétique : figurer, donner corps, dans le jeu, un rapport au monde et aux autres. L’enfant-sujet se constitue parce « qu’il trouve sa place en faisant place à l’autre », dans l’élaboration de la fiction théâtrale partagée. *

Katell Tison Deimat OCCE-Théâ février 2019